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Le blog de Pierre Siorac
21 juin 2015

Le cavalier noir - Seconde partie

Louis XIII

 

Aventuriers et diplomates

 

 

Ainsi, il semblait bien que le destin ait choisi de laisser le comte et le chevalier de Merville en paix, loin des intrigues de la cour et des chausse-trappes du pouvoir. Nous aurions pu le craindre, tant il est évident que leur participation à l'avènement réel de Louis XIII au pouvoir pouvait se révéler essentiel. Mais nous aurions également pu l'espérer, tant l'harmonie familiale qui régnait sur le domaine de Pharamond faisait plaisir à voir.

En quelques semaines, en effet, Rose avait fait des merveilles. Le vieux comte, ragaillardi par les attentions dont il était l'objet, avait décidé de tout faire pour parvenir à parler de nouveau. Et la patience de sa bru, sa douceur mêlée à une inflexible volonté avaient fini par donner des fruits surprenants. Aldemar avait commencé par sortir quelques sons, puis par articuler quelques syllabes, et désormais il parlait. Lentement, certes, et faiblement... Mais enfin, il se faisait entendre et comprendre à nouveau.

Bien entendu, personne, hormis Rose, n'avait osé montrer trop de contentement devant le chevalier. Mais si ce dernier continuait de faire montre de sa terrible mauvaise foi, c'était désormais par jeu.

— Alors, Monsieur mon mari, ne vous l'avais-je point dit que votre père retrouverait la parole ?

— Mais... c'est qu'il ne devait pas l'avoir perdue.

— Et comment l'aurions-nous su, si je n'avais pas tenté mes « charlataneries » ?

— Bah... Il lui fallait juste du temps, c'est tout.

— Juste du temps, dites-vous ?

— Ou peut-être sont-ce les prières assidues de notre bonne Lorène qui sont la cause de ce miracle.

— Voilà que vous donnez foi dans ces bigoteries désormais ?

— On peut être chrétien sans être bigot, Madame...

— Mais vous ne l'étiez pas il y a quinze jours encore.

— Voyons, Madame... J'ai reçu le baptême trois jours seulement après ma naissance.

— Monsieur mon mari, vous êtes d'une effroyable mauvaise foi !

— J'ignore si ma foi est mauvaise, Madame ; pas tant que ça, j'imagine, puisque mon père parle à nouveau.

Ces propos, dont le genre inspirera le grand Molière bien des années plus tard, était tenus – il convient de le souligner – dans une réjouissante bonne humeur, et étaient souvent le préambule à de tendres siestes en début d'après midi... ou plus tard, les roses de la vie pouvant être cueillies à toute heure du jour comme de la nuit.

Mais le destin n'abandonne jamais ses projets, qu'ils soient heureux ou bien funestes. Et puisque la lettre de Luynes n'était pas arrivée à destination, il avait décidé d'envoyer un autre messager.

L’Histoire, la grande (comme on dit), ne retient souvent pour le grand public que les faits principaux. Elle nous donne quelques repères, quelques pistes, mais en oubliant trop souvent de nous faire part de ce qui se trame dans les arrière-cuisines ou dans les corridors, ce qui la rend souvent mystérieuse et injuste vis à vis de personnages dont la participation aux grands événements est essentielle. Nicolas Brulart de Sillery faisait partie de ces personnages essentiels. Qu'on en juge part quelques-unes de ses actions...

Aux côtés d'Aldemar de Merville, il avait été membre de la diplomatie secrète d’Henri III, puis de celle d'Henri de Navarre. Il avait négocié, entre autres, la paix de Vervins entre la France, l'Espagne et la Savoie, puis obtenu du pape l'annulation du mariage entre Henri IV et la reine Margot. Louis XIII lui devait donc déjà d'être vivant... Et sans Nicolas Brulart de Sillery, l'Histoire de notre pays n'aurait donc pas été ce qu'elle fut. Il faut bien parfois rendre justice aux hommes de l'ombre, et les mettre un instant dans la lumière qu'ils méritent.

Répondant à l'appel de Luynes, Sillery devait passer par le domaine de Pharamond, dont il était le parrain et à qui il décida de rendre visite. On imagine donc sa joie, sa surprise et la chaleur des retrouvailles qui eurent alors lieu... Il fut convenu qu'il passerait la nuit au domaine, et le repas du soir fut prétexte à une longue conversation au cours de laquelle Sillery évoqua le projet de Luynes ainsi que quelques souvenirs.

— Ainsi, Luynes vous informe que Louis sera bientôt le roi « dans les actes ». Qu'entend-il par là ? demanda Pharamond.

— Vous connaissez comme moi les doubles sens du langage diplomatique. On peut supposer deux choses : la première, c'est que Marie a décidé de s'effacer ; la seconde, que le jeune roi a décidé de l'effacer.

— Pensez-vous qu'il ferait du mal à sa propre mère ? s'effraya Rose.

— Que non pas... bien qu'il ne l'aime guère. On raconte qu'un matin, il y a quelques années, cette dernière lui avait fait donner le fouet. L'après-midi, lorsque Louis entra dans son cabinet, sa mère lui fit une révérence comme à l'accoutumée, et le jeune roi répondit sèchement devant tous : « Moins de révérences, Madame, s'il vous plaît... et un peu moins de fouet ! »

— Mais alors, qu'entendez-vous par « l'effacer » ?

— L'écarter du pouvoir, elle et cet aventurier de Concini.

— Et comment s'y prendrait-il ? Il n'a que seize ans, et il est si seul...

— Il n'est pas seul, Madame. Il a avec lui tous ceux qui détestent la reine, et tous ceux qui détestent Concini. Soit presque tout le monde. Le rapport de force est en sa faveur, et il est le roi. Il lui suffit de dire « Je veux ».

— Que ne le dit-il, alors ? Et pourquoi vous rappeler pour comploter ? À votre âge...

— Sans doute parce que la Médicis s'est beaucoup rapprochée de l'Espagne ces derniers temps, et que son éviction changera alors beaucoup de choses. On aura besoin alors de diplomates confirmés. Et je dois bien avouer, Aldemar, que vous allez terriblement nous manquer.

— Oh, répondit le comte, vous... êtes... de taille... à vous... en... sortir... tout... seul.

— Hum... Si j'avais été seul à Vervins...

— Vous... l'étiez... j'étais sous... votre... commandement... Juste... là... pour vous... conseiller.

— Et nous n'arrivions à rien de bon. Jusqu'à l'intervention de ce cavalier noir, répondit Sillery.

— Contez-nous donc cela, demanda Rose, les yeux étincelants.

— Pas grand-chose à raconter, Madame : l'Espagnol ne voulait pas céder ; jusqu'à ce qu'un de leurs diplomates que l'on savait être un grand prévaricateur se retrouve égorgé un matin, avec un message dans la bouche.

— Et que disait ce message ? demanda Pharamond en souriant à l'adresse de son père.

— Que tous les Espagnols ayant des choses à se reprocher subiraient le même sort si les négociations n'aboutissaient pas rapidement.

— Vous disposiez donc là d'un renfort précieux...

— Hélas, c'était il y a bien longtemps : le cavalier noir n'est plus qu'un souvenir.

— Je crois... que vous... vous trompez... Sillery, reprit malicieusement Aldemar. Il y... a des souvenirs... qui resurgissent... parfois quand... les temps... sont venus.

— Qu’entendez-vous par là, mon ami ?

— J'entends... que mon fils... vous accompagne... au Louvre...  Il connaît... bien l'art... qui est... le vôtre...  Je l'ai... formé... en tout.

— Vous voulez dire que...

— Que je suis au service du roi, répondit Pharamond en souriant.

On partit donc dans la fraîcheur du petit matin de ce début d'avril 1617. Nicolas Brulart de Sillery portait encore beau malgré ses soixante-trois ans bien révolus. Le cheveu fourni, le visage un peu émacié, une moustache et une barbe bien taillées le faisaient ressembler à son ancien maître, Henri de Navarre. Diplomate et soldat aguerri, les longues et difficiles chevauchées ne lui faisaient pas peur. Et son humeur toujours égale le rendait un compagnon de voyage tout à fait charmant. Il savait tout ce qu'il devait depuis longtemps à Aldemar de Merville, de presque dix ans son aîné. Seul le hasard de la naissance en avait fait un personnage plus important. Mais l'audace, l'esprit de décision du vieux comte lui avaient toujours été d'un précieux secours dans les moments difficiles. Et il était heureux que Pharamond se soit joint à lui.

Pharamond cependant était d'une nature très différente de celle de son père. Plus tacticien que stratège, il s'encombrait rarement de vues à long terme. Pour lui, une porte devait soit être ouverte, soit  fermée. L’entrebâillement représentait une incertitude qu'il supportait difficilement. C'était un instinctif, qui jugeait rapidement ses interlocuteurs en les regardant franchement dans les yeux. Il accordait toute confiance à ses amis, mais ne ressentait aucune pitié envers ses ennemis. Il méditait ses plans pendant quelques heures au maximum, puis agissait vite, souvent sans en référer à quiconque afin de ne pas perdre de temps dans d'interminables explications ou tergiversations qui étaient risques de laisser passer le moment opportun pour l'action.

Bref, un diplomate chevronné accompagné d'un homme d'action faisaient route vers Paris, et ce voyage allait durer trois bonnes journées. Sillery avait donc le temps d'informer le chevalier sur les usages de la cour, les partis en présence et les dangers qu'ils auraient certainement bientôt à affronter.

— Dites-moi, Nicolas, lorsque vous êtes venu nous rendre visite hier, vous saviez ce que vous alliez trouver, n'est-ce pas.

— Je dirais que je le pressentais...

— Racontez-moi donc cela.

— L'enlèvement de votre père a fait grand bruit, et la comtesse de Merville a promis une forte récompense à celui qui lui rendrait son mari et lui livrerait vivant le cavalier noir.

— Ah... Savez-vous à quel point cette femme est un monstre ?

— Cette conclusion s'impose, en effet... à condition d'être loin d'elle et de pouvoir garder les idées claires. Cette femme est effectivement redoutable.

— Je serais heureux de suivre le cheminement de vos pensées.

— Eh bien, comme vous le savez, le cavalier noir était une de mes vieilles connaissances, dit Sillery en souriant, et je savais qu'il était impossible à votre père de se dédoubler ainsi. Or, le mode opératoire était en tous points semblable à celui qu'il employait : aucune pitié pour les imbéciles, et des scrupules à attenter à la vie des femmes. Vous connaissez l'adage « Bon sang ne saurait mentir » ; j'en ai donc conclu que c'était vous qui aviez revêtu les habits du vengeur.

— Et donc vous saviez que mon père était chez moi.

— Comme je vous l'ai dit, je le pressentais, fortement.

— Comme vous pressentiez que je vous accompagnerais, n'est-ce pas...

— Vous noterez que je n'ai pas formulé cette requête, Pharamond.

— C'est sans doute votre art de la diplomatie qu'il va me falloir apprendre.

— Gardez-vous en chevalier. Il est important que nous soyons les deux faces opposées d'une même pièce pour affronter les événements qui vont arriver. Nous rencontrerons le roi très bientôt ; il est entouré de serpents qui tous se targuent d'être de bons conseillers. Chacun y va de ses arguments plus ou moins insidieux, et Louis n'a que seize ans. Il y a fort à parier que le doute le ronge sans cesse... Par contre, votre bonhomie, votre faconde, votre franchise, votre manière directe de parler aux hommes pourraient alors agir sur lui comme un coup de fouet et se révéler grandement utiles.

— Et Concini ?

— Ce fat se prend pour le duc de Guise... Il en a la même arrogance ; il périra comme lui.

— Vous voulez dire assassiné ?

— Vous avez lu la lettre de Luynes, comme moi : cela n'est pas évoqué. Mais pour que le roi devienne roi, il faut que Concini disparaisse.

— Il suffit de le faire arrêter.

— Ah, Pharamond... Il faut parfois se débarrasser définitivement d'un ennemi, sans se préoccuper d'autre chose que du bien commun. Ainsi, vous par exemple, en laissant la vie à cette sorcière de Merville – pour des raisons nobles, je le sais – vous n'avez sans doute pas pris conscience de la portée de votre clémence. Sans doute misiez-vous sur une forme de repentance... Mais ce genre d'être, entièrement voué au mal, ne vit que pour la vengeance. Et qui sait les nuisances nouvelles dont elle sera capable désormais ? On raconte qu'elle est en route, elle aussi, pour Paris. Il s'agira d'être prudents... Si vous aviez été impitoyable, nous aurions un danger de moins à nous préoccuper. Et il s'agit du roi, cette fois ; c'est à dire du pays entier.

— Hum...

— Pour Concini, le même problème se pose. S'il reste en vie, même au plus profond d'une geôle, il restera un recours pour les partisans de la reine mère. Or, les liens du sang ne permettent pas au jeune roi de porter atteinte à sa vie. Elle restera un danger, jusqu'à sa mort. Concini vivant, ce danger n'en sera que plus grand.

— Mais pensez-vous que Louis ira jusqu'à commander son exécution ?

— Il nous faudra le convaincre, ou agir sans son approbation ; mais sans son interdiction... Et dans le cas où rien ne serait possible…

— Oui ?

— … il sera temps de sortir le cavalier noir, comme aux échecs.

Le 15 avril 1617, donc, nos deux héros arrivèrent aux portes de Paris. Hortense de Merville était arrivée deux jours plus tôt. Luynes ne cessait de recevoir et de consulter. Les événements allaient bientôt se précipiter, et personne ne pouvait en deviner l'ultime dénouement.

 

 

 

Chasse Royale

Il y avait deux façons de rencontrer le roi.

La première et la plus incertaine était de demander audience. Le roi refusait rarement, certes... Mais la reine mère avait organisé un protocole long et tortueux qui lui permettait, à elle en définitive, de choisir qui Louis devait voir ou ne pas voir. Il fallait donc pour commencer montrer patte blanche, faire sa cour à la Médicis, plaire à Concini, ne pas susciter la méfiance de la Galigaï... On imagine donc aisément le genre de personne que le jeune monarque recevait en audience, et les conversations insipides qu'il devait affronter.

La seconde manière était plus sûre, puisqu'il s'agissait de s'en remettre au « hasard », et que ce hasard bien maîtrisé était infiniment plus libéral que l'étiquette inventée afin d'écarter le roi de ses fidèles sujets.

Ainsi Monsieur de Sillery et Pharamond se trouvaient-il par pur hasard dans la forêt de Montmorency, en compagnie des barons de Vitry, Fouquerolles et Persan et eurent la surprise d'y rencontrer le roi qui chassait accompagné du duc de Luynes et de Madame de Merville. Le fait que la comtesse ait pu d'un seul regard convaincre Luynes n'étonnera pas plus le lecteur qu'il n'étonna Pharamond et son mentor. Ils échangèrent tous deux un sourire complice qui disait : « Nous voilà donc au cœur de l'intrigue et de l'action, jouons serrés, et tâchons de ne pas trop nous livrer... »

Les présentations faîtes, le roi pris la parole :

- Je suis bien aise, Messieurs, de pouvoir compter sur votre expérience et votre soutient. Monsieur de Luynes vous a informé de notre projet de démettre Concini de ses fonctions. Nous cherchons un moyen sûr et efficace, et vous devenez en quelque sorte, mon conseil royal. Je vous écoute...

- Majesté, dit Fouquerolles, la chose est simple en théorie à défaut de l'être en pratique. Vous êtes le roi et par conséquent tout doit plier sous votre parole. Ordonnez que cet aventurier soit démis, et cela doit suffire...

- Vous avez bien dit en théorie, Monsieur de Fouquerolles. Mais je puis dire ce que je veux, Madame ma mère ne l'entend pas de cette oreille. Et personne au Louvre n'agira sans son consentement.

- Alors ordonnez nous de le mettre aux arrêts, reprit Luynes. Et votre ordre sera exécuté, vous le savez.

- Et comment réagira la reine, à votre avis ?

- Elle n'est plus reine, répondit Nicolas de Sillery. Vous êtes le roi... Il faut qu'au moment de l'arrestation, vous pénétriez chez elle, accompagné de quelques uns d'entre vos fidèles et que vous l'informiez que désormais les choses ont changé.

- Vous la connaissez... Elle se rebellera. Et elle tentera par tous les moyens de remettre Concini en place.

- Puis-je me permettre, Sire, intervint alors Pharamond...

- Je vous en prie Chevalier.

- Je ne suis ni diplomate, ni juriste, et encore moins homme de cour, aussi permettez moi de vous parler « à la franche marguerite » comme l'on dit de par chez moi...

- Allez-y, Monsieur de Merville. Cela me changera de la sinuosité des discours habituels répondit Louis en riant.

- Et bien, mon cher père avait coutume de dire qu'un loup blessé était plus dangereux encore qu'un loup affamé. Concini est un loup...et il est affamé d'argent,d'honneurs et de pouvoirs. En le démettant de ses fonctions, vous le blesserez... Et, en exil ou en prison, il méditera sa vengeance. Vous pourriez le faire juger, certes, et condamner. Mais même l'inquisition ne juge plus les animaux de nos jours...

- Alors que faire, Monsieur ?

- Vous ne pouvez donner l'ordre de tuer Concini, Sire. Votre règne se doit commencer par la clémence et la justice, devenez « Louis le juste »... Et ne laissez dire à personne que vous auriez ordonné la mort d'un homme, fut-ce le plus misérable d'entre eux... Par contre...

- Par contre ?

- Il arrive que des chasseurs se voient contraints d'abattre des loups, ou des chiens enragés.

-Je vois...

- Vous pouvez bien sûr, nous interdire de chasser, Sire. Un simple mot de vous et les loups du royaume pourront aller et venir tranquilles.

Louis ne répondit pas. La cause était entendue.

On erra longtemps en silence dans la vaste forêt. Chacun perdu dans le secret de ses pensées. Luynes échafaudait son plan. Il devait être rapide et sûr. Il faudrait désormais connaître à l'avance les déplacements de l'aventurier. Organiser le guet-apens et frapper comme la foudre. Il faudrait dans le même temps neutraliser la reine mère. Il fallait compter pour cela sur des gens de confiance... L'après midi était bien avancée quand soudain un cri retenti :

- Sanglier droit devant !

Tous sortirent de leurs méditations. On lâcha les chiens, et on chargea sus au gibier...

La poursuite dura plus d'une heure. La bête était robuste... mais les chasseurs expérimentés. Et Louis s'amusait, enfin. On le voyait rire, donner des ordres, organiser la traque. En cet instant, loin de tout, des intrigues et des complots, il était le roi et agissait comme tel. Sillery lui-même était impressionné par cette complète métamorphose.

Puis, vint le moment attendu.

Épuisée, la bête fit face...et chargea les cavaliers. C'est alors que sans écouter personne, Hortense de Merville, excitée par le parfum de la mort chargea à son tour armé d'un épieu. Le choc fut terrible, formidable, l'épieu cassa en s'enfonçant dans le monstre aux aboies qui poussa un hurlement effroyable. Le cheval de la comtesse se cabra et elle tomba sur le sol.

La bête lui fit face à nouveau... Les flammes de l'enfer brillaient dans les yeux des deux adversaires. Et les autres participant n'osaient bouger, comme pétrifiés, fascinés par ce spectacle cauchemardesque et fantastique. L'animal blessé chargea à nouveau... L'issue ne faisait cette fois plus de doute.

- Non Pharamond !

Seul Sillery avait gardé la tête froide. Il avait vu là l'occasion, envoyée par la Providence, de se débarrasser une fois pour toute de Madame de Merville. Hélas, comme il l'avait dit quelques jours auparavant, « Bon sang ne saurait mentir », et celui de Pharamond était généreux. Trop sans doute... Il lança son cheval entre la comtesse et la bête afin de la freiner. Puis il sauta prestement sur le sol et la saisie sans ménagement pour l'amener sur le haut d'un talus.

Pendant ce temps, Luynes qui avait repris ses esprits ordonna la charge, et tous se ruèrent sur la sanglier qui déjà épuisé ne lutta plus vraiment.

- Merci Monsieur...murmura Hortense dans les bras de Pharamond.

- Je m'en serai voulu que périsse sous mes yeux celle qui rendit si heureux les derniers jours de mon pauvre père,Madame, répondit-il avec son sourire le plus innocent.

- Et bien Madame, il faut savoir modérer sa fougue, savez vous...annonça le jeune roi en s'avançant vers eux. Vous n'êtes pas blessée...

- Seulement dans mon orgueil, Sire...

- Alors ce n'est rien... Ce genre de blessure guérit plus vite que les autres. Quand à vous chevalier, je vous veux à mon service dès que...

- Oui Majesté ?

- Dès que les temps seront venus...se reprit Louis.

Il est des actes héroïques que l'on fait sans y penser. Il y en a qui parfois mènent au désastre. En mettant Hortense de Merville hors de portée de la la bête, Pharamond l'avait saisie d'une manière particulière. Une manière que la comtesse avait reconnu et qui ne lui laissait plus aucun doute sur l'identité de celui qui l'avait tourmenté. Elle venait de reprendre l'avantage. Elle savait que Pharamond savait. Mais lui ignorait qu'il venait d'être percé à jour. Il ignorait que désormais, il était devenu la proie, et que celle qui le chassait ne se contenterait pas de lui enfoncer un épieu dans le cœur.

***************

Ventre à terre roula sur le sol et se remit en garde. Une fois de plus, l'épée mouchetée de Rose n'avait rencontrée que le vide.

- Pas encore assez rapide, Madame...fanfaronna le nain en riant

- Rira bien qui rira le dernier, répondit Rose en haletant, par pitié cher beau père... Conseillez moi, que diable.

Dans son fauteuil de jardin, Aldemar riait comme un enfant.

- Ah, chère..Rose.. Vous ne vous défendez pas..si mal..

- Pfft... Je ne suis même pas capable de toucher Ventre à terre.

- C'est qu'il..se défend..mieux.

- Mais vous aviez promis de m'enseigner, Aldemar. C'était là les termes du contrat.

- Ah ah.. Vous me..demandez..de passer..outre l'interdiction..du chevalier.

- Il prétend que l'épée n'est pas affaire de femmes.

- Ce en quoi il a bien raison ricana Ventre à terre en époussetant la poussière qui le recouvrait.

- Rose.. Se battre ainsi..exige d'être prête..à aller..jusqu'au..bout. Seriez vous..prête à enfoncer..votre lame dans..la gorge..de vos adversaires.. ? Prête à voir..leur sang se..répandre sur..le sol ?

- Je suis prête à tout pour protéger ma famille. Et actuellement, je suis la seule ici à pouvoir le faire, n'est-il pas vrai ?

- Et moi ? Je compte pour un demi ? Répondit Ventre à terre.

- Toi ? Mais dis moi, malgré toute ta science, tu ne m'as touché non plus une seule fois depuis le début.

- Bien..vous avez raison..prenez vos épées..tous les deux.. Nous allons tout..reprendre depuis..le début... Allons, face à moi...

Les deux escrimeurs se mirent face au comte.

- Bien.. En garde.. Tierce.. Prime.. Tierce.. Quinte.. Fendez vous ! Reprenons.. Tierce.. Prime..

- Aldemar, vous vous moquez. Nous connaissons déjà tout cela...

- Vous ne..connaissez rien..vous vous battez..comme des..enfants. Tierce..Septime..j'ai dit septime..ventre à terre..tu es en sixte.. Fendez vous... encore..encore...

Pendant deux heures entières, le comte de Merville fit travailler ses deux élèves d’arrache-pied. Leur faisant reprendre les bases de l'escrime, leur expliquant quand frapper de taille plutôt que d'estoc, les oppositions, les enveloppement, les ripostes... Il y prenait plaisir, retrouvant une partie de sa jeunesse...et il était subjugué par les dons innés de sa belle fille qu'il admirait de plus en plus. Et puis surtout, Rose n'avait pas tort. Pharamond absent, qui défendrait efficacement le domaine contre l'appétit des brigands ?

Il fallut à peine une semaine pour que nos deux apprentis deviennent des bretteurs acceptables. Lors du dernier assaut, Rose l'emporta par cinq touche contre deux pour Ventre à terre. Rose resplendissante s'adressa alors à son beau père bien aimé :

- Alors Aldemar, qu'en dîtes vous ?

- J'en dit que..je suis..dépité Madame..

- Et pourquoi donc, je vous prie ?

- Parce que.. vous êtes morte. Ventre..à terre vous..a touché..en premier.

- Mais...

- Reprenons tout..depuis le..début, voulez..vous. Allons..en garde.. Tierce..septime..j'ai dit septime..Ventre à terre..

C'est alors qu'un cavalier fit irruption dans la cour du domaine. Il était épuisé, et portait les armes de Monsieur de Sillery. A peine fut-il descendu de sa monture que cette dernière tomba raide morte.

- Veuillez me pardonner, dit l'homme, des nouvelles urgentes de Paris. C'est le troisième cheval que je crève en trois jours.

Il tendit une lettre à Rose qui s'empressa de la décacheter et de la lire. Elle pâlit soudainement et se trouva mal. On appela Lorène qui apporta les sels afin de lui faire reprendre conscience. Ventre à terre voulu lire la lettre, mais Rose la tenait chiffonnée dans sa main serrée, et il était impossible de lui prendre. Aldemar compris qu'un grand malheur était arrivé. Il attendit que sa belle fille reprenne totalement ses esprits, le cœur battant...

- Qu'est-il arrivé, mon enfant demanda-t-il enfin, sans se rendre compte que désormais les mots sortaient sans difficulté de sa bouche.

- Il.. Il est arrivée malheur à... Pharamond.

- Est-il...mort ?

- Nul ne sait... Il a disparu. Sillery pense qu'il est entre les mains de la comtesse de Merville.

- Mais pourquoi ? Demanda Ventre à terre.

- Tout est ma faute, répondit Aldemar. Rose... Il va me falloir vous révéler un lourd secret. Non, reste Ventre à terre. Si mon fils est encore en vie, il aura également besoin de toi. Rose, ma chère Rose... Vous rappelez vous l'autre soir, lorsque Monsieur de Sillery a évoqué l'histoire du cavalier noir.

- Oui, je me souviens... Quel est le rapport avec le malheur qui frappe mon tendre mari ?

- J'étais le cavalier noir... Et Pharamond l'est devenu à son tour.

- Mon Dieu...alors c'est de lui que la comtesse veut se venger...

- Oui mon enfant, et je crains que cette femme diabolique n'ait tout découvert.

- Mais alors, qu'allons nous faire...

- Lui prouver qu'elle a tort.

- Comment cela ?

- Pharamond ne peut pas être le cavalier noir, puisque le cavalier noir...c'est vous désormais.

- Moi ?

- C'est évident répondit Ventre à terre, une flamme brillante au fond de son regard perçant.

 

 

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