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Le blog de Pierre Siorac
16 juin 2015

DUMAS N'A PAS TOUT DIT OU LA VRAIE VIE DES MOUSQUETAIRES - 1ère partie

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CHAPITRE 1

 

TOUS POUR UNE

 

 

La salle de bal du palais du Louvre était dans une effervescence totalement inhabituelle. En ce mois de mai 1648, le Mazarin que l’on ne connaissait pas si prodigue, offrait un somptueux bal masqué en l’honneur de la reine et du petit roi.

 

Tout n’était là que prétexte, évidemment, comme toujours avec l’Italien. Il s’agissait en les réunissant en un même endroit de recevoir de manière non officielle, tout ce que le royaume comptait de ligueurs et de nobles fidèles au parti du Premier ministre et de montrer ainsi aux princes frondeurs que si Paris semblait acquis à leur cause, les provinces, elles, ne l’étaient pas. Il s’agissait, en outre, de faire fléchir les plus faibles d’entre eux et, à l’aide de cajoleries et de promesses, de les amener à changer de camp. Il fallait bien gagner la guerre contre l’Espagne, et pour ce faire, il fallait bien lever de nouveaux impôts et faire fléchir le parlement de Paris. Et la noblesse frondeuse s’y opposait… prétendument au nom de peuple.

 

Lissant sa fine moustache et souriant à tous, comme à son habitude, Mazarin se disait amèrement que c’était bien la première fois que les privilégiés s’inquiétaient du sort des petites gens.

 

Tout ce que le royaume comptait de gens célèbres était présent. Le prince de Beaufort, le cardinal de Retz, le duc et la duchesse de la Rochefoucauld, le prince de Conti, le prince de Condé, la duchesse de Longueville, mais également des artistes, des poètes, et bien d’autres, tous portant masques et déguisements, ce qui certes rendait toute identification compliquée, mais allait permettre aux entretiens que le Mazarin se promettait d’avoir, toute la discrétion voulue. Quant à la sécurité des lieux, elle avait été confiée à la garde des mousquetaires gris, sous le commandement du lieutenant d’Artagnan.

 

D’Artagnan justement déambulait tranquillement dans la salle, entre les groupes qui se formaient tout en laissant traîner ses oreilles un peu partout afin de reconnaître les invités. Une voix rocailleuse et bien connue l’interpella soudain :

 

  • — Ventre-saint-gris, d’Artagnan, toujours à me surveiller !
  • — Rochefort, vieille canaille ! Vous faites partie des invités ?
  • — Eh oui… Un peu malgré moi, je dois bien avouer… Venez, isolons-nous un peu…

 

Après une fraternelle accolade, propre aux gens d’honneur que les aléas de la vie opposent sans qu’ils puissent se haïr vraiment, les deux anciens ennemis se mirent un peu à l’écart des autres.

 

  • — Alors, Rochefort… qu’est-ce qui vous amène au milieu de ce repère de loups ?
  • — Le Mazarin lui-même…
  • — N’aviez-vous pas pourtant juré de le tuer de vos propres mains ?
  • — Et mon serment tient toujours… Mais ne sortez pas tout de suite votre lame, je ne ferai rien ce soir. Cette hyène m’a fait sortir ce matin de mon cachot de Vincennes pour complaire à son futur ami le duc de Beaufort.
  • — Diantre… Beaufort et le Mazarin ensemble…
  • — Disons qu’il s’agit des prémices d’une longue négociation…
  • — Qui va durer longtemps…
  • — Au moins jusqu’à la mort du Mazarin…
  • — Canaille, dit d’Artagnan en riant de toutes ses dents.
  • — Non pas, mon ami… C’est de la politique. Rien de plus…
  • — Je n’entends rien à ces choses-là… Je n’en ai pas le goût.
  • — Et c’est bien là ce qui me peine… Si vous l’aviez, cela fait longtemps que vous ne seriez plus lieutenant. Vous valez mieux que ça, que diable…
  • — Je sers le royaume, Rochefort…
  • — Moi aussi… Mais on peut servir ses intérêts en même temps, et…

 

Des murmures stoppèrent la conversation de nos deux bavards qui se retrouvèrent au milieu d’un groupe d’invités. Venait d’entrer un couple sur lequel tous les regards s’étaient retournés. L’homme revêtu d’un costume vert à la mode du bon roi Henri, était brun, le pas assuré, un regard noir et dur dans lequel chacun pouvait lire des éclats de violence contenue. Mais c’était sa femme qui attirait d’emblée tous les regards. Elle aussi était brune, avec des yeux vert émeraude qui ne pouvaient laisser personne indifférent. Et sa robe était noire, et son regard semblait d’une tristesse infinie. Ses cheveux remontés en chignon laissaient apparaître un cou gracile que portaient de magnifiques épaules.

 

  • — Ventre-saint-gris, quelle belle femme, dit Rochefort, mais quelle tristesse dans le regard. On dirait qu’elle porte le deuil.
  • — C’est la princesse de Vendôme, répondit d’Artagnan d’une voix lourde.
  • — Ah…
  • — Dites-nous en plus, lieutenant… demanda un coq rouge sous le masque duquel d’Artagnan reconnut le cardinal de Retz.
  • — Allons, Monsieur… C’est une histoire si triste.
  • — Racontez, lieutenant… Les histoires tristes sont tellement poétiques…
  • — Il y a quelques années, la princesse tomba amoureuse d’un mousquetaire, le chevalier d’Herblay.
  • — Et alors ? demanda un moine au visage entièrement masqué.
  • — Et alors, cet imbécile crut que leur amour était possible.
  • — Mais tous les amours sont possibles, s’exclama une princesse indienne.
  • — Ah Madame… Tous les amours sont permis, et tous les cocus le prennent bien, ici, en notre bonne ville de Paris. Mais la princesse était vertueuse, et elle voulut s’enfuir avec son chevalier.
  • — De plus en plus intéressant, murmura Retz.
  • — Le chevalier organisa leur départ pour Londres, ville dans laquelle il avait de nombreux amis et la protection du roi Jacques, à qui il avait rendu de nombreux services. Mais au dernier moment, tout fut découvert. Depuis, la princesse vit enfermée, sans avoir le droit de voir personne…
  • — Et le chevalier ?
  • — Il a quitté les mousquetaires et est entré dans les ordres…
  • — Voilà une bien triste histoire, en effet… cela me rappelle…

 

Rochefort tira alors d’Artagnan par la manche.

 

  • — Le chevalier d’Herblay, avez-vous dit ?
  • — Oui…
  • — Aramis, donc… Voilà qui est fâcheux.
  • — Pourquoi cela, Rochefort ? Aramis n’est plus dangereux pour personne. Il se morfond dans son monastère.
  • — Aramis est ici… Je lui ai parlé quelques instants avant de vous rencontrer.

 

***********

 

Encadrée par deux gardes du corps, Caroline de Vendôme regardait d’un œil indifférent tous ces gens qui dansaient et s’amusaient à grand bruit. Le prince Philippe avait été invité dans le bureau du Premier ministre, et l’entretient n’allait pas durer très longtemps, elle le savait. Ensuite, ils ne s’attarderaient pas à la fête. Ils rentreraient immédiatement, aussi vite qu’ils étaient venus, et elle retrouverait les murs de son château-prison. Elle vit alors un vieux prêtre s’approcher d’elle. Un de ces « hommes de Dieu » qu’elle détestait tant. Un de ces hommes qui entouraient sans cesse son mari et le conseillaient sur la meilleure manière de la garder en prison, qui l’accompagnaient dans ses promenades dans les jardins du château, qui lui interdisaient d’ouvrir la fenêtre en été… Un des gardes se planta devant la princesse et dit d’une voix forte, sans aucun souci de discrétion envers les autres convives :

 

  • — Désolé, Monsieur. La princesse de Vendôme ne danse pas.
  • — Imbécile, murmura le prêtre doucement derrière sa barbe hirsute qui paraissait plus grise que blanche à cause de la saleté. À qui crois-tu parler ? Je suis le confesseur de son excellence, et nous venons de tomber d’accord avec son mari sur le fait qu’une vraie confession lui serait agréable.
  • — Mais…
  • — Suivez-moi à la chapelle, Madame… Quant à vous, vous pouvez sans doute aller protester auprès de son excellence, ou qui sait, de la reine qui danse là-bas…

 

La princesse suivit le prêtre qui marchait à petit pas dans un long corridor. Elle était plus résignée que jamais, mais qu’importait après tout. Une confession de plus… Elle allait avouer, une fois de plus, la passion qui avait envahi son âme et son corps tout entier pour son beau chevalier. On allait lui dire que cela était un péché abominable aux yeux du Seigneur, un affront intolérable aux sacrements de l’Église, et qu’il fallait qu’elle expie. Et elle expierait, en attendant d’expirer.

 

  • — Le confessionnal est loin d’ici, Madame… Si cela ne vous agrée, nous allons commencer la confession chemin faisant.
  • — Comme il vous plaira…
  • — Je vous écoute…
  • — Pardonnez-moi, mon Père, parce que j’ai péché…
  • — Non, non… Ne me demandez pas l’impossible. Il n’appartient qu’à Dieu de pardonner.
  • — C’est pourtant ce que prétendent vos coreligionnaires.

 

Le prêtre se redressa soudain, ôtant sa capuche et sa barbe postiche…

 

  • — Je crois plutôt que c’est moi, Madame, qui dois vous demander pardon de vous avoir tant fait attendre.
  • — René !
  • — Caroline…

 

Elle se réfugia immédiatement dans ses bras. Elle tremblait de tout son être, et elle le sentait trembler également… Leurs yeux se croisèrent, ils se noyèrent chacun dans le miroir de l’âme de l’autre. Leurs lèvres se frôlèrent, puis leurs bouches s’offrirent, leurs langues se mêlèrent, échangeant ce baiser qu’ils attendaient depuis plusieurs années. Puis, leurs bouches se séparèrent, et il lui embrassa le cou et les épaules tandis qu’elle lui passait passionnément les doigts dans les cheveux…

 

  • — Oh mon amour… pourquoi… pourquoi prendre un tel risque ? Nous allons rouvrir nos plaies, et souffrir encore plus qu’avant…
  • — Nous ne souffrirons plus, Caroline, plus jamais. Un carrosse et deux amis fidèles nous attendent dehors.

 

Soudain, Aramis se figea et porta la main à l’épée cachée sous sa robe de prêtre. Un homme en noir accourait en leur direction…

 

  • — Rochefort ?
  • — Partez vite, mon ami… Le prince est sorti du bureau du Mazarin. Il est furieux de la disparition de Madame, mais d’Artagnan le balade d’étage en étage. Vous avez peu de temps… Faites vite.
  • — Alors… nous dirons quatre amis, car vous en êtes cette fois, Rochefort…
  • — Votre histoire m’a bouleversé… Je ne suis pas qu’un tueur, j’ai aussi un cœur qui bat.
  • — Puisse-t-il battre longtemps pour ce que vous faites… Un pour tous ?
  • — Non, Monsieur… Cette fois, ce sera Tous pour Une.

 

Les deux amants sortirent promptement du Louvre devant lequel un carrosse et deux cavaliers attendaient. Ils montèrent à l’intérieur, claquèrent la porte, et le cocher démarra en trombe. La violence d’une secousse fit tomber Caroline aux genoux de son amant. Il se pencha pour la relever…

 

  • — Non, mon amour… Laisse-moi donc faire, dit-elle en passant sa main dans l’entrejambe du chevalier.
  • — Que fais-tu Caroline ?
  • — Je cherche ton épée…

 

Elle dégrafa son pantalon et pris son sexe déjà dur entre ses doigts. Après avoir fait monter l’excitation d’Aramis à son paroxysme, elle remonta sa robe et vint s’asseoir sur lui. Elle était prête, elle aussi… elle sentit entrer en elle le sexe large et chaud de son amant, et se mit alors à l’embrasser à pleine bouche tout en déchirant le haut de son vertugadin.

 

  • — Je veux ta bouche sur mes seins, mon amour… Lèche-les, suce-les, mordille-les…s’il te plaît… Oui… comme ça… Oui…

 

Ils jouirent tous les deux rapidement, presque immédiatement, comme les adolescents qu’ils étaient soudain redevenus… Puis, calmés, assis à nouveau l’un en face de l’autre, ils se contemplèrent longuement, sans avoir besoin de parler. Le temps qu’on leur avait volé n’avait rien changé ni dans leurs âmes, ni dans leurs cœurs. La vie recommençait…

 

 

 

CHAPITRE 2

D'Artagnan part en mission

 

 

 

Quelques rayons de soleil réussirent à passer à travers les persiennes de la chambre, et l’un d’eux caressa doucement les yeux d’Aramis afin de le réveiller. Il se retourna fébrilement vers celle qu’il aimait et se détendit immédiatement. Elle était toujours là, il n’avait donc pas rêvé la nuit dernière… Combien de fois depuis toutes ces années s’était-il réveillé fébrile au milieu d’un cauchemar ? Elle était près de lui, il pouvait la voir, la respirer, l’embrasser, il s’approchait d’elle alors pour la prendre dans ses bras, et son image s’évanouissait tandis qu’elle murmurait en pleurant : « Hélas, mon bel amant, mon bel amour impossible, je ne peux plus être à toi… » Et il se réveillait alors, transpirant d’angoisse, et hurlant dans la nuit comme un loup blessé dans la cellule de son monastère jésuite.

  • — Le Diable te possède, René, lui avait dit l’abbé Coffin, son confesseur.
  • — Non pas le Diable, mon père… une femme.
  • — Est-elle belle ?
  • — Vous le savez bien.
  • — Est-elle amoureuse de toi ?
  • — Je n’en doute pas.
  • — Crois-tu en elle, plus qu’aux sacrements de notre sainte Église ?
  • — Oui mon père… Et je ne veux pas renoncer à elle.
  • — Tu es un imbécile, René.
  • — Je suis amoureux.
  • — Mais vas-tu te taire à la fin ; cesse d’être arrogant, par le Christ !
  • — Je sais bien, mon père, que vous me méprisez pour cela. Et je sais bien que jamais je ne sortirai de ce noviciat interminable… mais peu m’importe. Ma vie sans elle n’a pas de sens, elle n’aura donc pas de but.
  • — Tu dis n’importe quoi, mon fils. Certes, tu ne seras jamais un véritable homme de Dieu, ni sans doute un grand théologien, mais tu feras, si tu m’écoutes, un Jésuite très acceptable.
  • — Un Jésuite n’a pas le droit d’être amoureux.
  • — Hum… « En ces choses, il ne faut jamais vouloir établir une règle si rigide qu’il n’y ait de place pour des exceptions » a dit notre fondateur.
  • — Ce qui signifie ?
  • — Simule et dissimule… Tu es un homme, tu es donc pécheur et tu le resteras. Mais cesse donc de te répandre ainsi devant tout le monde. Seul Dieu a le droit de juger de la noblesse de tes sentiments. Si tu consacres ta vie au service du bien, crois-tu qu’il te reprochera ta passion somme toute bien humaine ?

Sous la férule du père Coffin, Aramis avait donc repris espoir. Il avait étudié comme on lui demandait, sans passion certes, mais avec suffisamment de sérieux pour pouvoir s’élever dans l’ordre des Jésuites. Il avait appris la patience, le double jeu, le langage codé, l’obstination, et durant tout ce temps, il avait préparé la fuite de Caroline.

Cela n’avait pas été simple. Il lui avait fallu déployer des trésors d’ingéniosité et apprendre à dompter ses émotions. Jusqu’au jour où Athos était venu lui rendre visite…

Athos avait changé. Il ne buvait plus, ou presque. Lui, s’en été vraiment remis à Dieu. Il avait cru qu’en tuant Milady, il tuerait dans le même temps le mal qui lui rongeait le cœur. Mais la plaie, en réalité, ne s’était jamais totalement refermée. Il avait besoin de faire retraite, et le hasard (mais dans ces circonstances, le hasard n’était-il pas la part de Dieu lui-même ?) l’avait ramené vers son ancien compagnon. Ainsi avaient-ils passé ensemble de longues heures à évoquer leur passé, leur amitié et leurs exploits. De longue heures également à évoquer d’Artagnan, le meilleur d’eux quatre, et Porthos, dont seule la taille de géant égalait la générosité.

Aramis finit par confier à son ami sa volonté de se battre pour retrouver sa bien-aimée. Athos n’approuva pas. Il avait pour sa part renoncé totalement à l’amour. Mais la détresse de son compagnon lui rappela la sienne, bien des années auparavant. Et Athos avait un cœur aussi noble que généreux. Il promit alors d’aider Aramis dans son entreprise. Et ainsi, nuit après nuit, un plan audacieux vit le jour. Ce plan que nous avons conté dans le chapitre précédent.

Aramis se retourna vers Caroline et la regarda dormir un long moment… « Qu’elle est belle, mon Dieu ! » Il s’approcha d’elle et déposa un chaste baiser sur son front. Elle ouvrit les yeux… elle sourit.

  • — René, tu es bien là… Ne me dis pas que c’est encore un de ces abominables rêves…
  • — Non, mon amour, tu ne rêves pas.
  • — Je n’arrive pas à y croire vraiment, tu sais…
  • — Laisse-moi te réveiller doucement, mon amour.

Il embrassa son cou langoureusement, puis se mit à lécher délicatement sa poitrine. Il s’attarda longuement sur la pointe de ses seins tout en la caressant entre les cuisses.

  • — Je t’en prie, mon amour, fais-moi encore ce que tu sais si bien faire. J’en ai tellement envie.
  • — Oui, ma chérie. Tout ce que tu voudras. Je suis à toi, tu te rappelles… pour toujours et à jamais.

Il posa alors sa bouche contre son intimité et commença à la laper doucement. Elle était trempée, et elle sentait bon. Il introduisit sa langue à l’intérieur, de plus en plus profondément, de bas en haut, puis de haut en bas tout en caressant ses jambes si douces.

  • — Oh, René… Tu es diabolique…
  • — Certainement pas, mon amour, j’aime ta chatte, c’est tout.
  • — Alors lèche-moi comme tu ne l’as jamais fait.
  • — Ma ch…
  • — Tais-toi s’il te plaît, ne dis plus rien. J’ai attendu depuis trop longtemps. Je veux ta langue à l’intérieur de mon corps… Plus vite, oui… comme ça…

Elle lui avait pris les cheveux et collait contre elle cette bouche avide de son sexe. Et Aramis, prêt à étouffer, n’en pouvait plus d’excitation.

  • — Pénètre-moi maintenant, mon amour. Je veux ton épée dans mon ventre, je veux ta bouche dans mon cou, je veux tes yeux dans les miens. Je veux que tu viennes en moi, que tu jouisses en moi…

Aramis s’introduisit alors dans le saint des saints. Il ne tarda pas à se sentir prisonnier à l’intérieur de sa belle princesse. Et il aimait ça… Il la regarda dans les yeux. Un voile semblait posé dessus. Dans ces moments-là, Caroline était si différente, si totalement transformée… Elle devenait l’incarnation d’une déesse païenne de l’amour, et c’était elle alors, qui bien que sous lui, contrôlait leurs ébats. Et il aimait ça… passionnément. Ils jouirent à nouveau ensemble, et leur cri de bonheur fut entendu au-delà des murs de leur refuge.

**************

Porthos laissa tomber sa tartine de rillettes dans son café et se leva d’un bond, prêt à monter jusqu’à la chambre des amoureux. Athos éclata de rire…

  • — Allons, Porthos… reste tranquille. Ces cris sont signe que tout va bien
  • — Voyons, Athos, personne ne crie comme ça, à moins de connaître les pires souffrances, répondit le géant interloqué.
  • — Tu crois ?
  • — Je n’ai jamais poussé ce genre de cri, moi !
  • — Toi ? Mais tu rugis comme un tigre dans ces moments-là, tu fais trembler les murs de la maison.
  • — Oh…
  • — Laissons-les profiter un peu de leurs retrouvailles. Nous n’allons pas pouvoir rester longtemps ici.
  • — Je croyais que personne ne connaissait cette demeure à Saint-Germain.
  • — Personne, sauf d’Artagnan…
  • — D’Artagnan est notre ami, Athos. Jamais il ne nous trahira.
  • — Cela fait presque vingt ans…
  • — Mais il nous a aidés à fuir, hier soir.
  • — Hier soir, il n’avait pas reçu d’ordre du Mazarin. Mais d’Artagnan est aux ordres de l’État, et j’ignore comment il réagira lorsqu’on lui donnera l’ordre de retrouver la princesse.
  • — Tu es sans cœur Athos ! Tu n’as aucune confiance dans tes amis. Moi, je sais que l’on peut faire confiance à d’Artagnan.
  • — Mon brave Porthos… Tu es sans doute le seul d’entre nous qui mérites d’aller au Paradis.
  • — Eh oui… déclara Aramis en descendant l’escalier de la chambre, heureux les simples en esprit.
  • — Que veux-tu dire par là, rugit Porthos ?
  • — Je veux dire que tu penses simplement, que tu ne passes pas ton temps à tergiverser ou à t’inquiéter pour des broutilles, et que cela te rend heureux. Si Athos et moi avions ce don de Dieu, sans doute serions-nous moins inquiets.
  • — Voilà pourquoi vous devriez m’écouter plus souvent.
  • — Mais la sagesse de Dieu est folie aux yeux des hommes, mon ami. Et si tu parles parfois comme un prophète, Athos et moi, hélas, n’avons pas cette capacité.
  • — Quoiqu’il en soit, si vous jugez qu’il est impossible de rester ici, je vous invite tous les trois dans mon domaine de Pierrefont.
  • — D’Artagnan le connaît également…
  • — Oui, sans doute, Athos… Mais mon domaine est gigantesque. C’est le plus grand domaine de toute la région.
  • — Et d’Artagnan est le plus malin de nous quatre.
  • — Eh bien, nous pouvons rester dans mon château dans ce cas, c’est le château le plus fortifié de tout le nord de la France.
  • — Et d’Artagnan est le meilleur lieutenant des armées du Roi.
  • — Aaaaah, mais cessez donc de m’agacer avec d’Artagnan !
  • — Allons, Porthos, d’Artagnan est le meilleur ami que nous n’ayons jamais eu, répondit Athos dans un fou-rire.

**************

Rochefort, tout habillé de noir comme à son habitude, se tenait devant Mazarin qui le scrutait du regard de derrière son bureau.

  • — Je ne sais pas quoi faire de vous, Monsieur le comte.
  • — Alors oubliez-moi, Cardinal.
  • — Vous oublier… j’y songe fortement.
  • — Mais si cette fois Son Éminence avait la bonté que ce ne soit pas dans un cachot…
  • — Je m’interroge… Toutes ces années de détention ne vous ont pas assagi, semble-t-il.
  • — Ventre-saint-gris, Votre Éminence… presque cinq ans de bonne vie à rattraper. Ne me demandez pas d’être sage immédiatement.
  • — Vous êtes toujours aussi vif, votre forme physique ne semble pas altérée…
  • — Mes cheveux et ma barbe ont blanchi.
  • — Faites comme moi : employez l’artifice des teintures italiennes… Mon cher comte, je vous laisserais bien libre comme me le demande le duc de Beaufort, mais je doute alors qu’il ne continue à négocier avec moi si je lui donne satisfaction.
  • — Puis-je me permettre de faire remarquer à Votre Éminence que si elle m’enferme à nouveau à Vincennes, les négociations risquent alors de s’interrompre…
  • — Je sais, Rochefort, je sais. Je pèse le pour et le contre…

Un garde entra et annonça à Mazarin l’arrivée du lieutenant d’Artagnan.

  • — Faites entrer, susurra Mazarin. Et vous, Rochefort, restez avec nous. Mais dans l’ombre, s’il vous plaît. Derrière ce paravent.

D’Artagnan entra, la mine austère et le visage fermé. Il avait passé la nuit entière à faire semblant de rechercher la princesse de Vendôme et son ancien compagnon. Il avait en outre dû subir les reproches et les insultes perpétuelles du prince… Les recherches avaient cessé au petit matin, et d’Artagnan avait dû reprendre son service sans dormir une seule petite heure.

  • — Ah, lieutenant… Dois-je vous dire combien je suis déçu.
  • — Et moi donc, Votre Éminence !
  • — Ne vous moquez pas de moi… Le chevalier d’Herblay est un de vos amis, et nous savons que c’est lui qui a agi cette nuit.
  • — Comment être certain ?
  • — Allons, un bal masqué, un déguisement, un enlèvement rocambolesque… cela sent l’intrigue d’un jeune fou à plein nez.
  • — Justement, Votre Éminence, le chevalier d’Herblay n’est plus un jeune homme.
  • — Et c’est bien là la dernière chance qui vous reste de me prouver votre fidélité, lieutenant. Prenez une compagnie de nos mousquetaires gris, et lancez-vous à ses trousses. Je veux ce chevalier mort dans moins d’une semaine, et la princesse « délivrée » ; j’insiste bien sur ce mot, lieutenant.
  • — Vous croyez sincèrement que la princesse a besoin qu’on la délivre ?
  • — Peu importe le mot employé, lieutenant… les affaires de cœur de ces deux fous ne pèsent rien face à la raison d’État. Allez, vous avez une semaine.

D’Artagnan sortit d’un pas prompt, contenant la colère qui l’envahissait. Mazarin sourit et se tourna vers le paravent derrière lequel attendait Rochefort.

  • — Monsieur le comte de Rochefort, je crois que j’envisage une solution capable de nous contenter tous les deux.
  • — Je suis à vos ordres, Cardinal.
  • — Je n’ai pas vraiment confiance en ce d’Artagnan… Il a certes rendu de grands services par le passé, mais son sens politique est étouffé par son sens de l’honneur. Ce qui est loin d’être votre cas…
  • — Effectivement, Votre Éminence.
  • — Suivez-le. Informez-moi de ses moindres faits et gestes. Et s’il retrouve les deux amants, ramenez-moi la princesse, par n’importe quel moyen.
  • — Êtes-vous certain que le jeu en vaut la chandelle, Votre Éminence ?
  • — Vous n’êtes pas là pour réfléchir au bien de l’État, Rochefort. Mais vous souhaitez ne plus retourner à Vincennes, n’est-ce pas ?
  • — Je suis à vos ordres…
  • — Eh bien remplissez votre devoir, mon ami. Et je saurai sans doute m’en souvenir durant les négociations qui auront lieu avec votre Maître…

 

 

 

CHAPITRE 3

 

Caprices de femmes

 

 

 

 

Le comte de Rochefort n’était certes pas le Diable, mais il était pragmatique et il servait le duc de Beaufort. S’il avait prévenu nos deux amants la veille au soir, c’était moins par compassion que par calcul politique. En favorisant la fuite de la princesse de Vendôme, en effet, il mettait à mal l’alliance entre le Mazarin et le prince, qui lui-même avait forte influence sur les seigneurs du Loiret. La colère de ce dernier faisait perdre au cardinal un peu plus de son crédit, déjà bien entamé, auprès de la noblesse de France.

 

Depuis quelques minutes, la donne avait changé. S’il ramenait la princesse au bercail, son maître pourrait dès lors en tirer quelques substantiels avantages. Dès lors, Rochefort décida d’accomplir sa mission, mais seulement en partie. Une fois entre ses mains, Caroline de Vendôme deviendrait l’invitée du duc de Beaufort afin de servir de monnaie d’échange. Nul doute alors que le commandement des armées royales reviendrait alors au duc, et dans le même temps son pouvoir se verrait renforcé au Conseil du roi. À partir de là, tous les rêves étaient permis, y compris celui de forcer la reine à démettre finalement le Mazarin de sa charge de Premier ministre.

 

Perdu dans ses pensées, il ne remarqua pas la duchesse de Longueville qui venait à sa rencontre. Frondeuse, cette blonde incendiaire soutenait le cardinal de Retz dans son ascension vers le pouvoir. Elle savait bien entendu tout de ce qui liait Rochefort et le duc de Beaufort, sauf ce qui venait de se tramer dans le secret du bureau du Mazarin. Mais, confiante en son immense pouvoir de séduction, renforcé en cette occasion par les cinq longues années d’abstinence du comte, elle fondit sur lui tel un faucon sur sa proie.

 

  • — Rochefort, quelle surprise… et quelle joie de vous revoir enfin.
  • — Tout le plaisir est pour moi, Madame…
  • — Allons, vilain flatteur. Il y a plus de cinq ans que nous ne nous sommes vus… Le temps est impitoyable sur les femmes, savez-vous.
  • — Le temps n’a pas de prise sur les dieux, Madame… Et vous faite partie de leur famille.
  • — Vous par contre, vous avez changé, Rochefort. Vos cheveux gris et votre barbe blanche vous donnent un air de sagesse qui renforce votre charme naturel.
  • — Hum… Voilà des mots bien enjôleurs. M’est avis que vous souhaitez que je vous informe de quelque secret. Hélas, Madame, j’en sais moins que vous sur toutes les choses du monde. Je suis sorti de mon cachot hier matin seulement.
  • — Mais vous sortez à l’instant de chez le Mazarin où je ne suis moi-même jamais entrée.
  • — Je ne vous souhaite pas que cela arrive un jour, Madame. Cet homme est un démon sans scrupules.
  • — Ça, nous le savons tous les deux, et depuis longtemps.

 

La duchesse attrapa soudainement Rochefort par la ceinture et se colla contre lui, offrant à sa vue son décolleté tentateur.

 

  • — Oh, Rochefort… Nous avons vécu tant de choses avant votre injuste emprisonnement, tant de moments délicieux ! Il ne tiendrait qu’à vous…
  • — De servir le coadjuteur ? Certainement pas.
  • — De me servir, Rochefort…
  • — Et bien, si j’en crois les quelques informations que j’ai pu glaner çà et là…
  • — Oui ?
  • — Vous m’avez bien vite remplacé après ma triste mésaventure.
  • — Qui vous a dit cela ?
  • — Le Louvre est plein de gens fielleux, et beaucoup vous détestent, Madame…
  • — Mais pas vous Rochefort.
  • — Certes, Madame ; il faudrait que je sois fait de bois.
  • — Alors servez-moi, Rochefort. Retrouvez-moi ce soir.
  • — C’est hélas impossible, Madame ; je dois rejoindre – ou plutôt retrouver – au plus vite celui qui m’a remplacé dans votre couche, et à qui je ne tiens nullement à succéder.
  • — De qui parlez-vous, Rochefort ?
  • — Ah oui, c’est vrai, Madame… Vous ne pouvez vous rappeler tous ceux qui vous ont… servis.
  • — Comte, je vous ordonne de parler ! grinça alors la duchesse, exaspérée.
  • — Eh bien, soit ; pour vous complaire, Madame… Je suis en quête du Chevalier d’Herblay.
  • — Aramis ?
  • — Oui, Aramis… qui finalement a préféré à votre con enflammé celui de la princesse de Vendôme, que l’on prétend sucré.
  • — Aramis… Je hais cet homme, Rochefort. Et vous le savez bien.
  • — Voilà pourquoi je vous informe, Madame.
  • — Et je hais tout autant la Vendôme ! Retrouvez-la, Rochefort, et faites-la enfermer.
  • — J’y compte bien, Madame, car telle est la volonté du cardinal.
  • — Peu importe ; il s’agit également de ma volonté, cette fois. Mais… puis-je vous demander une chose encore ?
  • — Demandez…
  • — Avez-vous des ordres concernant le chevalier d’Herblay ?
  • — Oui, Madame : je dois l’occire.
  • — Soit. Je voudrais simplement que vous me le rameniez avant. Je veux le voir à genoux devant moi. Je veux le voir implorer mon pardon, le voir ramper comme une limace. Et ensuite…
  • — Oui ?
  • — Vous le tuerez et enverrez sa tête à Caroline de Vendôme.

 

**************

 

Si le lecteur avait, grâce à une magie quelconque, la faculté de remonter le temps jusqu’aux jours dont nous parlons, et s’il lui venait l’envie dans le même temps de contempler l’effet de sombres pensées sur un visage empli d’amertume, il lui suffirait alors de suivre et d’observer d’Artagnan déambulant apparemment sans but dans les rues de Paris. À plus de quarante ans, ce dernier avait gardé la prestance du jeune homme qu’il était vingt ans auparavant. Il avait toujours la jambe ferme et cette démarche féline qui faisait se retourner les regards des femmes ; et en temps habituels, il leur rendait volontiers ce regard.

 

Les femmes… D’Artagnan n’avait jamais oublié Constance de Bonacieux, mais le temps était passé, et de la blessure béante qui l’avait fait souffrir pendant tant d’années il ne restait aujourd’hui qu’une plaie presque cicatrisée. Par besoin autant que par lassitude, il avait accepté de se mettre en ménage (mais non de se marier, le souvenir de Constance le lui interdisait) avec la belle Augustine, jeune servante dans une auberge de la rue du Cyprès, auberge dans laquelle il logeait sans payer d’autre loyer que sa protection contre les voleurs et les étudiants parisiens toujours prêts au chahut.

 

Lorsqu’il sortit de son entrevue avec Mazarin, d’Artagnan décida de rentrer chez lui afin de dormir un peu et de partir ensuite en mission. Lorsqu’elle le vit rentrer ainsi, l’air sombre, sans saluer l’aubergiste et monter directement à l’étage, Augustine pressentit la perspective de moments difficiles et se hâta de monter à son homme une assiette de riz au lard ainsi qu’un pichet de vin. Lorsqu’elle entra dans la chambre, elle le trouva allongé sur le lit, occupé à regarder le plafond.

 

  • — Je t’ai apporté ton repas. Tu n’es pas rentré cette nuit… Il s’est passé quelque chose d’important ?
  • — Il se passe toujours des choses importantes au Louvre, Augustine.
  • — Tu sais très bien de quoi je parle, lorsque je parle de « choses importantes ».
  • — Oui, Augustine. Et la réponse est toujours la même : « Non, Augustine. »
  • — Je n’arrive pas à te croire, Charles… Tu es entouré sans cesse de toutes ces princesses, ces duchesses, ces comtesses, ces marquises… Toutes des femmes sublimes, qui portent les plus belles robes et les parfums les plus chers. Et tu me dis que tu n’aimes que moi… avec mes vêtements de servante, et mes trente-cinq ans déjà qui font que je suis presque une vieille femme…
  • — Ah, mon Augustine, dit d’Artagnan en se redressant pour s’asseoir sur le bord du lit, viens donc près de moi.
  • — Oui…

 

Elle s’assit tout contre lui tandis qu’il lui passait un bras robuste autour des épaules, la serrant contre lui pour sécher les larmes qui avaient déjà coulé.

 

  • — Mon Augustine… Sais-tu qui sont ces femmes dont tu parles ?
  • — Oui : de très belles femmes.
  • — La plupart sont bien plus vieilles que toi, et seul leur maquillage cache leur laideur. Certaines courtisanes de la cour n’ont presque plus de dents, et d’autres les ont pourries. Lorsqu’elles rient, je t’assure que c’est une odeur pestilentielle qui sort de leur bouche ; mieux vaut être loin, ou tenir un de ces jolis mouchoirs que tu m’asperges d’eau de Cologne tous les matins.
  • — Tu dis ça pour me faire rire, mon Charles., mais je sais bien que tu exagères.
  • — Mais non, mon Augustine ; je te le promets.
  • — Oui, peut-être. Mais il y a les autres. Les plus jeunes… Celles qui ont la cuisse grasse et la poitrine ferme.
  • — Celles-là sont des ambitieuses venues à Paris afin d’obtenir la protection d’un prince ou d’un marquis. Crois-tu qu’elles regarderaient un petit lieutenant des mousquetaires gris ?
  • — Tu n’es pas un petit lieutenant. Tu es le grand d’Artagnan, celui à qui la reine doit d’être encore en vie aujourd’hui.
  • — La reine a oublié, ma belle Augustine. Les puissants sont ainsi, ingrats et amnésiques. Ils ne seraient pas les maîtres du royaume s’ils étaient autrement.
  • — Pourquoi n’as-tu pas fait comme ton ami Porthos ? Il est riche aujourd’hui ; il possède un château. Et pourtant, tu es cent fois plus intelligent que lui.
  • — Porthos a dû pour cela épouser une femme qui tient plus du dragon que de la jolie rose que tu es…
  • — Arrête, tu me flattes. Je vois très bien où tu veux en venir.
  • — Non, ma chérie. Je n’ai pas dormi cette nuit ; et j’ai de mauvaises nouvelles à t’annoncer. Voilà pourquoi je suis triste.
  • — Je le savais… Comment s’appelle-t-elle ?
  • — Caroline de Vendôme.
  • — Et tu ne nies même pas… Tu es un monstre, je te déteste !
  • — Suffit, femme ! dit-il fermement en attrapant le poignet de la main levée qui allait l’atteindre.

 

Augustine éclata en sanglots.

 

  • — Tu ne m’aimes plus, tu vas me quitter…
  • — Allons, Augustine, calme-toi. Je t’aime toujours, petite sotte. Je vais juste partir en voyage.
  • — Avec cette garce ?
  • — Non. Je dois retrouver cette femme qui a été enlevée hier à la cour, pendant le bal masqué.
  • — Mon Dieu… Quelle horreur !
  • — Oui, comme tu dis.
  • — Comme ce doit être terrible pour elle…
  • — Elle était consentante. Elle est partie avec son amant. Mais pour des raisons politiques, à la cour, cela s’appelle un enlèvement.
  • — Et que vas-tu faire ?
  • — La retrouver et la ramener chez elle.
  • — Mais… c’est monstrueux !
  • — Oui.
  • — Et qui l’a enlevée ?
  • — Aramis.
  • — Et tu vas affronter ton ami…
  • — J’ignore si Aramis est toujours mon ami.
  • — Il l’a toujours été.
  • — Cela fait vingt ans, Augustine. Aramis a sa princesse, Porthos a son château, Athos a sa fortune… Et moi, je n’ai en tout et pour tout que cette chambre et ton joli sourire.
  • — Et cela ne te suffit plus…
  • — Si, justement. Et je vais devoir tout quitter une fois de plus afin de régler les problèmes des grands de ce monde, et me retrouver plongé au milieu de tous ces égoïsmes. Je me sens las, mon Augustine… Je crois que je vieillis.

 

**************

 

Le père Pedro Acquaviva détestait qu’on le réveille au milieu de la nuit. Surtout lorsqu’elle était bien avancée, et surtout lorsque la jolie Ninon Mercier passait la nuit avec lui. Ils venaient juste de s’endormir tous les deux, enlacés l’un à l’autre, et voilà qu’un fâcheux venait faire un vacarme du diable aux portes du presbytère. Il sortit un pistolet chargé du tiroir de sa table de nuit, se signa rapidement et descendit voir ce qui se passait.

 

  • — Qui est là, cria-t-il à travers la porte.
  • — D’Herblay !
  • — Impossible : d’Herblay doit être loin à cette heure.
  • — Pedro, c’est moi, je te jure… Ouvre vite.
  • — Le mot de passe ?
  • — Ad Majorem Dei Gloriam.
  • — Tout le monde le connaît, celui-là… Non, notre mot de passe.
  • — Pedro, je t’en prie… Pas ça.
  • — Le mot de passe, ou tu n’entres pas. Allez, un effort…
  • — Les couilles du pape ne servent à rien.
  • — Pardieu, c’est bien toi !

 

Acquaviva ouvrit la porte en riant et serra fortement Aramis dans ses bras.

 

  • — D’Herblay, espèce de fou…
  • — Acquaviva, infâme blasphémateur !
  • — Qu’est-ce que tu viens faire ici ?
  • — J’ai besoin de ton hospitalité, et de ta discrétion absolue pendant quelques jours.
  • — Accordé. Tout le temps que tu voudras, mais… tu n’échapperas pas à mon Bordeaux.
  • — Je n’ai pas envie d’y échapper. Je ne suis pas seul.
  • — Comment s’appelle-t-elle ?
  • — C’est un jeune novice polonais. Il se prénomme Karol, et son nom est imprononçable.
  • — Va pour Karol ; mais je n’ai qu’un lit à vous offrir.
  • — Alors, que Dieu nous préserve du péché de sodomie, dit doucement Aramis en joignant les mains.
  • — Bah, tu sais… Qui n’a pas essayé ne peut pas savoir ce que c’est.
  • — C’est un savoir dont je saurai me passer.
  • — Nous en parlerons demain, autour d’une bonne bouteille. Je vous montre la chambre.

 

**************

 

La chambre était austère, mais le lit spacieux et confortable. Caroline ôta son capuchon et regarda tout autour d’elle.

 

  • — Oui, je sais, cela te change de ton château, dit Aramis. Mais c’est la vie des fugitifs, et cela risque de durer quelque temps.
  • — Ne dis pas de bêtises, mon amour… Une vie d’aventures avec toi, c’est ce dont j’ai toujours rêvé.
  • — Puisse le rêve durer longtemps, alors. Et puissions-nous nous réveiller ensemble de ce rêve. Allez, novice, il est tard. Ou tôt… Nous avons besoin de sommeil tous les deux.
  • — Ce n’est pas de sommeil dont j’ai le plus envie, René.
  • — Tu es insatiable… Tu veux encore me voir sortir mon épée ?
  • — Non.
  • — Alors…
  • — Pour commencer, je veux que tu m’ôtes ces bottes qui me font mal aux pieds, dit-elle en s’asseyant sur le rebord du lit.

 

Aramis leva vers lui la jambe de Caroline et déposa un baiser délicat sur sa botte.

 

  • — Je suis votre serviteur, Princesse.
  • — Hi-hi… Idiot !

 

Lorsque la seconde botte fut retirée, avec le même cérémonial que la première, Caroline demanda :

 

  • — Et maintenant, puisque tu es « mon serviteur », je veux que tu masses mes pauvres pieds endoloris par ta faute.

 

Il prit alors son petit pied délicat entre ses mains de soldat et commença à lui en masser la plante avec ses pouces. Il sentit rapidement sa princesse se détendre sous l’effet de ses caresses. Mais elle se fit de plus en exigeante :

 

  • — Ça suffit comme ça, « serviteur » ; je veux un massage spécial ! Je veux sentir ta barbe sous mon pied, et je veux aussi que ta langue s’occupe de mes orteils.

 

Aramis frotta alors doucement sa courte barbe à l’endroit où ses pouces officiaient quelques minutes avant. Puis il fit entrer le tout petit pied de sa belle presque entièrement dans sa bouche, et commença à sucer doucement ses orteils.

 

Caroline se détendit alors complètement, en proie à une sensation étrange. L’envie de se caresser, et en même temps l’envie de s’abandonner. Elle était bien, détendue, la langue de son amant faisait merveille une fois de plus.

 

Elle ferma les yeux et s’endormit, vaincue par la fatigue de leur long voyage.

 

 

 

CHAPITRE 4

 

États d'âme et trahison

 

 

 

 

Les Machiavel en robe de chambre – tout comme les romanciers – pèchent toujours par excès de subtilité. Ils montent sans cesse des intrigues complexes, et se croient d’une intelligence supérieure parce qu’ils mettent un point d’honneur à brouiller les pistes. Pour organiser cette fuite, on aurait pu imaginer des choses totalement folles et rocambolesques : partir en carrosse vers le nord, bifurquer à l’ouest en ne gardant que les chevaux, se cacher dans des auberges perdues, tenter une fois de plus d’embarquer pour l’Angleterre (mais en passant par la Hollande cette fois) ; mais c’était là finalement prendre plus de risques que nécessaire.

 

On cherchait quatre fugitifs… D’Artagnan aurait vite compris que nos deux amoureux avaient reçu le secours de deux amis fidèles. Et ses soupçons se porteraient d’emblée sur Athos et sur Porthos. Saint-Germain n’était pas loin de Paris ; c’était donc là qu’il commencerait ses recherches. Il trouverait vide la propriété d’Athos qui, comme toutes les propriétés ayant servi de refuge, ne manquerait pas de laisser à son œil exercé et à son esprit de déduction des indices précieux qui le mèneraient à coup sûr sur la piste des fuyards.

 

À cette heure, en outre, on savait très bien que toutes les routes de France grouillaient d’espions et de soldats au service du Mazarin. L’entreprise était donc plus que risquée : elle était quasiment condamnée à l’échec.

 

Sauf à disparaître…

 

Le plan était donc d’une simplicité absolue. Athos resterait à Saint-Germain et accueillerait d’Artagnan. Le désordre des lieux n’aurait donc rien de suspect… D’Artagnan avait quitté Athos ivrogne ; il retrouverait cet ivrogne qui saurait lui parler du bon vieux temps et du regret d’avoir tant vieilli, d’être incapable aujourd’hui de la moindre folie.

 

Si d’Artagnan se décidait quand même à se rendre chez Porthos, il l’y trouverait également, trônant dans son château, terrorisant ses serviteurs, et bêlant comme un agneau devant sa femme. Il visiterait son immense domaine, et cela prendrait plusieurs jours…

 

Pendant ce temps, Caroline et Aramis seraient là où personne ne les chercherait : chez le père Acquaviva, ancien camarade d’études du chevalier, à deux pas du Louvre. Ils vivraient quelques semaines en reclus, auraient tout le temps nécessaire pour faire l’amour et, la politique reprenant ses droits, on finirait par desserrer les mailles du filet ; on finirait même par les oublier, tant il est évident pour tout observateur de la vie des « grands » qu’une intrigue sans cesse chasse l’autre, et que ce qui est scandaleux aujourd’hui le sera moins demain, et oublié après-demain… Le temps est l’allié indéfectible de tous les stratèges.

 

La seule inconnue que nos héros avaient négligée, c’était Rochefort. Le comte suivant d’Artagnan n’était certes pas pour l’instant un véritable danger, mais il avait parlé de son entreprise à Madame de Longueville et avait ravivé en elle, volontairement, le souvenir d’une cuisante humiliation. Or, comme le lecteur le sait (contrairement à ce sot de Rochefort), rien n’est plus terrible qu’une femme humiliée qui cherche à se venger. La haine est un sentiment surprenant qui a ceci de particulier d’aveugler la raison des hommes et d’éclairer l’intelligence des femmes. Et l’on pourrait écrire, sans risque d’exagérer, qu’en cet instant la duchesse de Longueville irradiait par son esprit.

 

À l’heure où nous la retrouvons, elle se trouvait face au cardinal de Retz, ennemi juré du Mazarin, et meneur de la Fronde. Allié au duc de Beaufort pour les besoins de la cause, mais bien décidé à ne pas lui permettre d’accéder au pouvoir. Retz était doté un esprit subtil ; il était raffiné, et sa plume était acérée. Ses sermons – qu’il travaillait durant des nuits entières – étaient de pures joailleries où chaque mot était pesé parfaitement et destiné à devenir un projectile contre le pouvoir en place. Il était adulé par le petit peuple de Paris, qu’il méprisait et dont il comptait bien se servir pour parvenir à ses fins. Et les nouvelles que venait de lui apporter sa belle et blonde alliée l’avaient plongé dans une méditation profonde dont il finit par sortir soudainement.

 

  • — Madame, il n’est pas question que cet imbécile de Beaufort s’empare de Caroline de Vendôme.
  • — Comment ça ? Vous plaisantez, j’espère ?
  • — Je ne plaisante jamais en matière de politique, Madame. Cette femme serait entre ses mains un atout qui pourrait le rendre beaucoup trop puissant dans les négociations en cours. Par contre, sa fuite avec le chevalier d’Herblay nous garantit l’allégeance à court terme du prince de Vendôme et de ses seigneurs, que je saurai mener à ma guise.
  • — Certes mon ami… Mais ensuite ? Le prince exigera de vous demain ce qu’il exige aujourd’hui du Mazarin. Il faudra bien lui rendre sa femme, ne pas prendre le risque de vous en faire un ennemi.
  • — C’est pourquoi elle doit disparaître.
  • — Où cela ? En Angleterre ? Allons, on vous demandera d’exiger son retour…
  • — Il y a de nombreuses façons de disparaître, Madame. Certaines sont parfois définitives…
  • — La faire tuer ?
  • — J’ai dit : disparaître, Madame.
  • — Comment comptez-vous faire, mon ami ?
  • — Je ne compte absolument rien faire, Madame : ma condition d’homme d’Église me l’interdit. Je dis que pour le bien de notre entreprise, ni le Mazarin ni Monsieur de Beaufort ne doivent rattraper la princesse de Vendôme. Et, dans la mesure où vous êtes impliquée vous-même dans cette entreprise, je pense qu’il est sage que je m’en remette à vous pour régler cette petite affaire.
  • — Vous me donnez donc carte blanche…
  • — J’aimerais, si possible, que le sang de Madame de Vendôme ne coule pas.
  • — Et d’Herblay ?
  • — Peu importe, Madame ; son sort ne m’intéresse pas le moins du monde.
  • — Je me charge de tout, mon ami. Je m’en voudrais de contrarier vos méditations… Faites-moi confiance ; ce problème n’en sera bientôt plus un.
  • — Je n’en doute pas, ma chère amie. Dieu vous bénisse…

 

La duchesse de Longueville sortit du palais de Retz plus radieuse que jamais. Elle tenait enfin sa vengeance…

 

**************

 

Tandis que la cour du Louvre résonnait des préparatifs de la compagnie des mousquetaires gris de d’Artagnan qui devait partir le lendemain, tandis que Rochefort, invisible dans son justaucorps noir et recouvert du manteau de la nuit épiait ces préparatifs du haut des remparts, d’Artagnan – qui connaissait son Mazarin par cœur et savait pertinemment qu’il était sous surveillance – sortit seul par la porte ouest et se rendit à cheval chez son vieil ami Athos.

 

Il arriva au petit matin, décidé à surprendre tout le monde au réveil. Moins décidé à remplir sa mission. Et excluant complètement de se battre contre ses anciens compagnons.

 

Ce n’était – comme le lecteur s’en doute – certainement pas la peur qui le freinait ainsi. Étant le seul des quatre à être resté dans le métier des armes, il se savait suffisamment fort pour vaincre n’importe lequel d’entre eux. Athos avait dix ans de plus, et l’alcool devait l’avoir passablement abîmé. Porthos, toujours porté sur la bonne chère et la ripaille, devait avoir grossi encore, et sa force titanesque ne l’empêchait pas d’être le plus lent de tous. Quant à Aramis, il était peu probable qu’il ait pu s’exercer beaucoup au maniement des armes dans son couvent de Jésuites.

 

Mais d’Artagnan était sentimental. Il avait de la mémoire, et croyait encore en l’amitié. « Un pour tous, tous pour un ! » restait sa devise, même s’il avait souffert de l’abandon de ses compagnons au fil des années. Aramis avait coupé les ponts avec tous lorsqu’il avait pris sa retraite. De Porthos, il n’avait reçu qu’un faire-part de mariage empli de son immense fatuité, et dont la simple évocation le faisait encore rire aux larmes. Seul Athos avait continué à donner des nouvelles régulièrement. Mais « Loin des yeux, loin du cœur… », comme dit le proverbe, et les dernières lettres qu’il avait reçues manquaient de cette flamme nécessaire à l’entretien d’une amitié indéfectible.

 

Ainsi, notre héros se désolait de devoir retrouver ses amis dans de telles circonstances, de l’autre côté d’une barricade qui n’avait aucune chance de résister au pouvoir du Mazarin. Et une petite voix à l’intérieur de sa tête (celle de sa conscience ?) le mettait à la torture.

 

  • — C’est toi qui as changé, disait-elle ; tes compagnons, eux, sont restés les mêmes.
  • — Tais-toi. Je suis resté au service du roi ; je suis resté mousquetaire. Ce sont eux qui ont déserté.
  • — Allons, ne sois pas de mauvaise foi. Tu n’étais pas au service du roi, naguère, mais au service de Constance ; et c’est pour ses beaux yeux que tu as aidé la reine à sauver la face contre le roi lui-même.
  • — Je servais le roi sans qu’il le sache… Il était tout entier sous l’emprise de Richelieu.
  • — Mais Richelieu était grand, et tu l’as toi-même reconnu, ensuite ; il t’a même récompensé pour tes exploits, finalement.
  • — Richelieu savait reconnaître la valeur d’un homme.
  • — Oui… d’un homme dont il avait été l’ennemi, qui lui avait tenu tête. Et voilà qu’aujourd’hui tu n’es même plus capable de tenir tête à ce fourbe de Mazarin. Voilà que tu t’empresses pour lui d’aller briser une belle histoire d’amour.
  • — Nous devons abattre l’Espagne, pour le bien du roi et du royaume : voilà le véritable objet de ma mission.
  • — Allons, d’Artagnan… Les puissants ont toujours un pays à abattre. Richelieu voulait abattre l’Angleterre, et tu as tout empêché. La raison d’État est un prétexte de puissants pour écraser les braves de toutes les époques. Ne me dis pas que tu crois à ces billevesées…
  • — Suffit ! Tais-toi ! Nous arrivons bientôt… Je veux parler à mes amis les yeux dans les yeux. Après seulement, je déciderai.
  • — Sage décision, d’Artagnan. Et je me réjouis car je viens de comprendre qu’au fond de ton âme, tu as déjà pris ta décision.

 

**************

 

Le 15 mai de l’an de grâce 1648,

Au prince Jean-François Paul de Gondi, cardinal de Retz

Votre Éminence,

Lorsqu’il y a deux ans, vous avez eu la bonté de m’accorder vos faveurs et de m’obtenir la charge qui me sortit de la misère, je vous avais promis de tout faire afin de vous rendre les bontés que vous m’avez accordées. Vous aviez souri et m’aviez répondu que votre geste était un geste d’amitié envers mon défunt père, qui fut pendant des années un de vos amis fidèles. Ainsi me faisiez-vous comprendre, avec une infinie délicatesse, que je devais mon bonheur aux deux hommes que je révère le plus depuis l’enfance.

Je dois bien vous avouer que durant ces deux ans pendant lesquels je ne vous ai donné aucune nouvelle de ma personne, j’ai cherché comment vous complaire et comment vous rendre service. Hélas, je ne trouvais point, et j’étais au désespoir.

Mais le destin, par d’infinis détours, me permet aujourd’hui de vous rendre un peu des bontés que je vous dois. J’ai appris en effet que tout le royaume cherchait actuellement deux fugitifs. Deux amants de tragédie, dont le geste fou n’a d’égal que le péril dans lequel ils mettent actuellement le royaume. J’ai appris également que le Mazarin donnerait cher afin de les retrouver. Enfin, lorsque je dis « cher », votre Éminence, je veux parler des accolades et des promesses dont cet avaricieux est si prodigue. Je sais en outre que le duc de Beaufort a envoyé un de ses hommes de main afin de surprendre ces fuyards avant tout le monde. Et j’imagine aisément le prix que vous seriez prêt à payer afin que le chevalier d’Herblay et la princesse de Vendôme vous soient livrés, à vous plutôt qu’à ces gribouilles de la politique.

Eh bien, Votre Éminence, je puis enfin me montrer digne de la confiance que vous m’aviez accordée. Je sais où se trouvent ces deux personnes, et comment il vous sera facile d’aller les surprendre sans faire courir à vos gens des risques trop grands. La chose est amusante… Tandis que tout le monde les cherche un peu partout dans le royaume, ils se trouvent à deux pas d’ici, à quelques rues du Louvre, dans le presbytère de la rue des Orfèvres.

Je vous prie bien entendu de ne rien envisager pour me remercier de cette information. Elle n’est qu’une infime partie du remboursement de la dette que j’ai à votre égard, et à l’égard de mon cher père. Je reste, Votre Éminence, votre débiteur, et éternellement à votre service.

Père Pedro Acquaviva

 

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